Extrait de la revue « Hermès – études scientifiques, littéraires et philosophiques »
n°5 – 3e année – Mai 1913
« Il y a une vingtaine d’années, quelques esprits curieux et cultivés, ayant eu la perception que la Science officielle d’alors n’était pas toute la Science, entreprirent de faire revivre les théories abandonnées, les systèmes délaissés des anciens et des hommes du moyen âge. Ces curieux poussés par la noble ambition de concilier dans une vaste et magnifique synthèse les conceptions pythagoriciennes, les idées platoniciennes et néo-platoniciennes fondues dans l’Ecole d’Alexandrie, les enseignements d’Egypte et de l’Inde sur l’homme et l’Univers, ces curieux, presque tous érudits et de haute valeur intellectuelle, donnèrent alors, quoique école naissante, une incomparable impulsion aux recherches nouvelles d’où est sortie la science psychique d’aujourd’hui.
Il y aurait sans doute une étude non dénuée d’intérêt à écrire au sujet de ces devanciers, de ces précurseurs, dont la plupart sont morts, mais dont beaucoup jouissent maintenant du fruit de leurs labeurs.
On ne peut méconnaître, en effet, les services rendus par Stanislas de Guaïta, l’Adepte, par Eliphas Lévi, le Mage, par Papus, le désocculteur, par Albert de Rochas, Péladan, Bosc, et tant d’autres encore dont les noms se pressent sous notre plume.
Leurs projets étaient d’une simplicité étonnante, et, cependant, d’une ampleur, d’une portée que l’avenir prendra souci de fixer. Comme nous l’avons dit, ces esprits synthétiques, qui avaient vu clair dans l’amas immense des connaissances humaines – connaissances qui se prolongent jusque dans l’antiquité la plus reculée, la plus obscure, c’est-à-dire la plus légendaire ; ces esprits nouveaux qui pressentaient les vérités qu’on acceptera demain, puisqu’on les discute aujourd’hui, après les avoir niées ou combattues hier, ces chercheurs de chimères s’apparentaient étroitement avec les plus audacieux et les plus étonnants philosophes, avec les plus profonds mathématiciens et spéculateurs que la terre ait portés. Ce fut une école syncrétique qui voulut amalgamer puissamment tous les systèmes connus ou inconnus expliquant tous les problèmes de l’Être, de ses origines et de ses fins, les mystères de l’Univers et de Dieu. Les uns se cantonnèrent dans la spéculation métaphysique, et l’on vit briller cette pure et radieuse lumière : Saint-Yves d’Alveydre. D’autres s’adonnèrent plus spécifiquement à la philosophie hermétique, comme Guaïta et Eliphas Lévi ; d’autres encore à la science alchimique, tel Jollivet-Castelot ; et d’autres enfin se vouèrent à la littérature, comme Péladan, qui prit le titre de Sâr, ou à la vulgarisation de leurs idées, comme le puissant Papus, qui est à l’occultisme ce que Camille Flammarion est à l’astronomie. Autour de ces soleils de la Science Occulte gravitaient une foule d’étoiles, de grandeur plus ou moins égale, et chaque Maître recruta des adeptes.
Cette école, d’abord ignorée parce que les chercheurs qui la composaient fuyaient la vaine, illusoire et tapageuse publicité, comme il sied à des disciples d’Hermès, tournée en dérision lorsqu’on la connut mieux, projeta sur le XXe siècle une lueur qui devait éclairer des problèmes jusqu’alors non-résolus. Ce fut le triomphe des doctrines hermétiques dans une sphère circonscrite mais dont le champ devait s’étendre indéfiniment. On sait – et nous n’insisterons pas – que ces Maîtres ont ouvert la voie à une science nouvelle, ou plutôt qu’ils ont tiré de la nuit où elle était plongée la Momie merveilleuse : l’Hermétisme, pour lui insuffler une vie plus active et pleine de promesses en partie réalisées. Nous ne dirons pas qu’ils furent des novateurs au sens strict du mot, mais plutôt des continuateurs de l’antique lignée qui se prolonge, d’âge en âge, jusqu’à l’aube de l’humanité. Michelet affirmait que l’histoire doit être une résurrection : les hermétistes dont nous venons d’esquisser les hautaines et puissantes restitutions pourraient prétendre, eux aussi, que l’Occultisme n’est qu’une résurrection – la résurrection des Sciences oubliées au fond des sanctuaires endormis dans les sables ou dans les ténèbres du passé.
Est-ce à dire que la tentative de ces érudits fut sans défauts et le monument qu’ils élevèrent sans fissures ? Une telle prétention serait sans doute exagérée, car nous savons pertinemment que l’œuvre commune, élaborée dans le mystère, entreprise dans un but que nous avons suffisamment mis en relief, ne forme pas un édifice totalement harmonieux. Dès le début, presque, il y eut, au sein de l’Ecole, des divergences de vue systématiques entre les Maîtres dispensateurs de la Lumière Antique : Péladan se sépara de Papus, qui voulait « désocculter » l’Occulte, alors que le chef de la Rose+Croix prétendait ne livrer que des fragments de la Science Unique aux seuls initiés pénétrant dans son Cénacle. Puis, on philosophait beaucoup, dans la nouvelle Ecole, on spéculait sur des bases trop souvent chancelantes, on se lançait dans des dissertations assurément splendides et séduisantes, mais qui manquaient de fond. En un mot, le groupe se spécialisait dans l’exposition purement doctrinale de son système, sans l’étayer d’expériences concluantes. Ils furent surtout des philosophes, des rhéteurs, ces Maîtres de l’Occulte, pas assez, selon nous, des savants.
Jollivet-Castelot avait peut-être compris que la pierre d’achoppement de cette puissante synthèse était précisément l’abondance des théories touffues et des expositions syncrétiques, et l’indigence réelle, tangible, des expériences destinées à en montrer la véracité en même temps que la valeur. Il répugnait à son esprit positif, droit et clair d’avancer des propositions problématiques impossibles à vérifier. Car, dès le début de cette curieuse renaissance philosophique, le Maître avait fondé une revue d’hermétisme qui vit encore, très prospère et très répandue : l’Hyperchimie, Rosa Alchemica qui devait scruter les domaines encore incertains de l’invisible. De cette époque datent ses premiers essais scientifiques, ses primes ébauches hermétiques et alchimiques, ses tentatives expérimentales qui devaient assurer à l’œuvre commencée en commun une renommée durable et une envergure qu’elle n’aurait peut-être pas connue en se confinant dans la pure doctrine.
Ainsi, tandis que les uns s’égaraient dans des rêveries métaphysiques ne reposant que sur un plan instable, tandis que beaucoup d’autres entraient dans le champ illimité de la mystique et de la fantasmagorie, tandis que certains adeptes, trop rares à notre gré, élaboraient, en s’enfermant préalablement dans leur tour d’ivoire, des œuvres durables et sérieuses, Jollivet-Castelot, rompant avec l’esprit spéculatif et subjectif de l’Ecole, promenait son investigation dans tous les champs de l’inconnu et abordait résolument l’étude physique, objective, matérielle et sensible de l’Occulte. »