Qu’est-ce qu’un Initié ? (1911)

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Dans le cadre de notre publication régulière d’écrits issus des archives de l’Ancien et Mystique Ordre de la Rose-Croix, nous avons choisi ce mois-ci un article tiré de la revue Psyché, n° 13-14, publiée en juillet 1911, intitulé « Qu’est-ce qu’un Initié ? ».

Dans ce texte, l’auteur, « Feraer », analyse avec pertinence les différentes étapes de l’initiation, en mettant l’accent sur la nécessité de ne pas résumer un Initié à ses diplômes ou à de mystérieux engagements pris au sein d’une confrérie, mais plutôt au désir sincère de perfectionnement moral et spirituel de ce dernier, une conception philosophique pleinement en accord avec l’enseignement rosicrucien

Dans un autre ordre d’idées, il est intéressant de noter que l’auteur, à défaut peut-être d’être Martiniste lui-même, connait bien les écrits du Philosophe Inconnu, Louis-Claude de Saint-Martin. Les différentes références (Providence, Silence…) que l’on trouve dans ce texte, dont la plus explicite, celle des « hommes de torrent », ne laisse aucun doute à ce sujet.

« Qu’est-ce qu’un Initié ? » | Feraer, Revue Psyché,
n°13-14, juillet 1911

 

 

Qu’est-ce qu’un Initié ?

« Notre époque a vu tant de charlatans abuser des mots d’initiés et d’initiations et se parer des dépouilles des grands sages de l’antiquité, qu’il n’est pas sans intérêt de se poser cette simple question : qu’est-ce qu’un Initié ?

Pour certains, l’initié est celui qui compte parmi les membres d’une société secrète, qui a subi des épreuves mystérieuses et solennelles, pris des engagements, reçu des consécrations rituelles. Si l’initiation n’était que cela, elle serait bien peu de chose : décor, cérémonie et vanité. L’homme ne peut transférer à un autre homme la lumière ou les pouvoirs qu’il possède. Aucun rite ne peut faire éclore magiquement dans une âme la fleur spirituelle encore fermée.

Le mot mystificateur, auquel notre langue a donné un sens si défavorable, ne signifie-t-il pas faiseur de mystes, faiseur d’initiés ? Sans doute, certaines sociétés secrètes sont utiles ou bienfaisantes, mais il ne suffit pas d’être inscrit sur leurs registres pour se dire initié.

L’initié n’est point non plus, ainsi que l’imaginent certaines âmes tendres et crédules, un être surnaturel, un divin dieu omni puissant, omniscient, causant avec les anges et dirigeant les destinées du monde.

L’initié est simplement un enfant nouvellement né à la vérité, un voyageur qui fait son premier pas sur la route unique et éternelle, un aveugle dont l’œil vient de s’ouvrir à la lumière.

En présence de la vérité, l’esprit de l’homme prend trois attitudes successives :

  1. La réceptivité. Il est disciple. Il amasse les observations dans sa mémoire et reçoit la science.
  2. L’assimilation. Il est initie. Il oriente ses facultés vers la lumière aperçue, s’en pénètre, cultive son jardin moral et spirituel.
  3. Le rayonnement. Il est adepte. Il projette en réalisations fécondes les images de la vérité qu’il a saisie et crée autour de lui des vérités nouvelles.

Dans la première phase de ce cycle de la connaissance, rentrent toutes les sciences humaines, toutes les perceptions des formes et des phénomènes, toutes classifications, toutes méthodologies. L’étude des phénomènes occultes en fait également partie, et c’est pourquoi il est dangereux de considérer ces pratiques phénoméniques comme un but à atteindre, au lieu d’y voir un simple moyen de s’instruire.

Cette première phase met l’homme en rapport avec la nature; on peut dire que le disciple est fils de la terre ou fils des cieux. La seconde phase met l’homme en rapport avec l’homme. L’initié est fils de l’homme, ou fils de la femme. La lumière vient de Dieu, mais c’est par l’intermédiaire de notre semblable que Dieu nous laisse percevoir sa lumière.

Être initié, c’est littéralement être mis sur le chemin. Or, une seule route est tracée à l’homme par la Providence : celle du perfectionnement moral et du développement spirituel. Là seulement est la loi. Tous les autres sentiers tracés par la main de l’homme ne sont qu’un tracé d’erreurs et de mensonges.

Etre initié, c’est comprendre cette vérité. C’est voir clairement cette route creuse déroule dans l’infini, semée hélas! d’obstacles et de dangers, mais qui monte vers le trône du Père. C’est acquérir la première lumière personnelle qui permet de marcher – en trébuchant parfois – mais de marcher seul et sans être conduit par une main étrangère, comme une bête de somme. On ne peut décrire ce processus de l’âme, pas plus qu’on ne peut décrire ce que ressent l’aveugle dont les yeux se dessillent. Mais il est impossible de se méprendre, le jour où on perçoit le symbole sous la forme, l’âme sous le corps, la lumière incréée sous la lumière créée. Et s’il fallait donner un signe encore plus visible du divin phénomène, je dirais volontiers qu’on est initié quand on comprend le silence.

L’initiation est donnée à l’homme par Dieu où et quand il lui plaît. L’un la trouve dans une vie simple et humble, l’autre dans le travail et dans la science. Celui-ci la rencontre après l’épreuve de la douleur, celui-là sent la grâce dans l’épanouissement d’un amour radieux. Mais une fois allumé, le flambeau ne doit plus s’éteindre.

La phase de l’initiation n’a rien d’exceptionnel ni de surhumain. Tous les hommes sont appelés à la traverser un jour, plus on moins tôt ainsi que parmi les fruits d’un même arbre, certains ont une maturité précoce. L’initié est bien un fruit mûrissant. Et de même que le jardinier force les fruits en serre chaude, de même les hommes ont imaginé cent procédés de culture psychique rationalistes, magiques, religieux, pour hâter la formation des initiés.

Prenons garde que tous ces procédés ne sont pas recommandables et soyons scrupuleux sur le but dont ils s’inspirent. L’usage de la serre peut être légitime pour devancer la récolte, hâter le travail de la nature et jeter quelques pionniers de l’idéal dans une société encore matérialiste. Mais il ne doit pas servir à produire d’artificielles raretés, incapables de vivre au grand air et créées pour la seule satisfaction d’une orgueilleuse curiosité, Il devient criminel lorsque ses artifices de culture donnent naissance à des monstres et redoublent la malice des poisons … Que l ‘homme ne cherche pas à rien ajouter ni à rien re trancher aux forces inconnues dont il est dépositaire. La seule transformation que doive subir l’âme humaine, c’est la transmutation du plomb en or, la graduelle sublimation de toutes les énergies qui permet de faire du sensuel un sentimental, d’un sentimental un artiste et de l’artiste un mystique, de même qu’elle permet à l’acidité du fruit de se transformer en jus sucré et savoureux. Seul le soleil matériel et le soleil spirituel peuvent réaliser cette alchimie.

Être initié, c’est être sur le chemin. Ce n’est pas être à l’abri des défaillances et des chutes. Combien de pas et d’efforts, d’arrêts découragés et de tentatives de recul, de sursauts d’énergie et de froide ténacité seront nécessaires pour gravir la montagne, franchir les obstacles, éviter les dangers, conquérir et fixer en soi définitivement la vacillante lumière entrevue. Au bout du chemin, l’homme meurt aux relativités terrestres pour entrer dans le monde des essences. Il devient fils de Dieu. Il est adepte. Et les lumières, les pouvoirs, les vertus de son être renouvelé et rénové sont autant de mystères que ne peuvent percer les regards des « hommes du torrent ». »

FERARER